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Entretien avec Paloma Sermon-Daï, réalisatrice du film “Il Pleut dans la Maison” présenté à la Semaine de la Critique – Cannes 2023

"Il Pleut dans la Maison" de Paloma Sermon-Daï © Michigan Films

C’est un film qui sent l’été, la chaleur, la transpiration et les difficultés. Les difficultés de deux frères et sœurs, Purdey et Makenzy qui vont devoir faire face à une nouvelle réalité d’adulte lorsque leur mère va un jour quitter le foyer. C’est un été difficile, loin des plages paradisiaques et des cocktails au frais. Les débuts d’une vie d’adulte précipitée…

Je voudrais commencer cet entretien en évoquant le premier plan du film qui, à mon sens, est assez représentatif des évolutions entre les deux personnages. Ils marchent vers nous dans un décor désertique et chaud, ils vont tous les deux à des rythmes différents et avec des difficultés qui, elles aussi, diffèrent.

C’est vrai que ce premier plan où ils ramènent des sacs de courses et des bouteilles de
soda, on travaille toujours à l’instinct donc je leur ai vraiment fait réellement porter ces sacs, ils sont dans une vraie douleur. C’est vrai que c’est représentatif du film, de ce bitume
brûlant, les champs brûlés par le soleil et on sent tout de suite aussi cette relation chien-chat qu’ils ont.

On ressent physiquement la chaleur quand on est devant le film, que ce soit grâce à la colorimétrie, la transpiration des acteurs… Quels sont les éléments que vous avez voulus utiliser pour mettre en avant cette chaleur ? Et pourquoi le choix de l’été ?

Parce que je voulais parler d’une maison insalubre et de faire ça en pleine canicule, pour montrer qu’on y souffre aussi de la chaleur. J’avais envie de casser ce cliché du film social belge qui se déroule dans la grisaille et dans l’image qu’on se fait de la Belgique. On a tourné en Wallonie dans la région du lac de l’Eau d’Heure qui n’est pas souvent travaillé au cinéma. C’est aussi un récit, celui de deux adolescents et du dernier été de leur jeunesse. Ce rapport à l’adolescence et au corps se fait aussi naturellement avec le travail de la chaleur et de l’impact sur la peau.

Purdey Lombet dans Il Pleut dans la Maison © Michigan Films

Comment s’est fait le choix du lieu ? C’est intéressant de voir à quel point ils semblent évoluer dans un espace qui semble plutôt riche et aisé, que ce soit au niveau des profils des vacanciers qui y viennent ou dans les logements qu’ils occupent.

J’ai grandi en Wallonie à une heure de ce lac et ce qui m’intéressait c’est cette économie à deux vitesses et ce rapport de classe. On sent, surtout dans le personnage de Purdey, qu’ils se battent pour briser ce plafond de verre et au final ils sont en quelque sorte marginalisés par ce tourisme plutôt flamand / hollandais. C’est une région assez précarisée et les deux personnages du film le sont particulièrement. J’avais envie de créer ce contraste entre ce monde auquel ils voudraient appartenir et au final tout ce qu’ils arrivent à faire c’est elle trouver un job d’été dans un complexe hôtelier et lui tomber dans la rébellion quitte à voler les touristes.

Pour appuyer ce parallèle, il y a deux plans qui sont marquants, le premier entre Purdey qui trouve un travail et Makenzy qui vole un vélo et le deuxième où la fracture s’agrandit avec d’un côté Makenzy revenant d’une scène à la plage d’une certaine violence et de l’autre Purdey qui elle va vers son travail. Est-ce que c’était une volonté lors de l’écriture du scénario ou est-ce que ce sont des parallèles qui vous sont venus au montage ?

Le film n’était pas entièrement écrit, on avait un scénario de 60 pages ce qui laisse beaucoup de place à l’improvisation et le film s’est écrit en se faisant. Mais le scénario faisait déjà beaucoup de parallèles entre les deux et on a renforcé des éléments comme la solitude de Makenzy et ces deux chemins d’intégration dans leur milieu. Elle essaye d’évoluer et de sortir de sa situation précaire et Makenzy par instinct de rébellion va s’enfoncer un peu plus avec une violence qui va monter crescendo.

Makenzy Lombet dans Il Pleut dans la Maison © Michigan Films

Dans la relation qu’ils ont l’un et l’autre, vous avez fait le choix de vrais frère et sœur pour les incarner, est-ce que c’était pour ajouter du réalisme à leur relation et leur complicité ?

J’avais déjà fait un court métrage avec eux qui s’appelait Makenzy mais, habitant à Bruxelles et eux un peu plus loin je les ai perdus de vue pendant quelque temps. Et puis j’ai commencé à écrire ce film qui était vraiment basé sur cette relation frère-sœur. Au départ je ne les avais pas et puis en croisant Makenzy un jour, il m’a confié son envie de refaire du cinéma. Une fois le casting terminé on a commencé à travailler ensemble et je les ai travaillés dans le sens du poil. Quand on travaille avec des acteurs de cet âge-là, non professionnels, il faut très vite prendre conscience de leurs points forts et de leurs points faibles et ne pas essayer de les faire rentrer de force dans un moule ou dans un personnage préconçu.

Une fois le casting validé, on a travaillé pendant un an, je les ai filmés, j’écrivais à côté, j’essayais de rester dans leur langage pour aussi rendre compte de cette réalité et de cette génération dans ce contexte social.

Vous avez parlé de la solitude, les personnages sont souvent caractérisés par des duos, des trios (Makenzy et son meilleur ami, Purdey et son copain ou même Purdey et Makenzy) mais la caméra les isole au contraire beaucoup. Est-ce une volonté d’accentuer leur solitude dans la recherche de leur chemin respectif ?

Tout à fait. Et en même temps on a toujours la sensation, même s’ils sont séparés, qu’ils se regardent et qu’ils ont encore de liens très forts. C’était important que malgré leur solitude ils traversaient les mêmes choses chacun à leur manière. C’était important de les isoler parce qu’ils sont très tiraillés. Entre Purdey qui veut partir et Makenzy qui reste très attaché à la maison. On ne sait pas trop d’ailleurs si c’est par pur attachement matériel ou par volonté de s’accrocher, comme Purdey le ressent, à une idée d’un retour à la normale, au retour de la mère et le recommencement d’une vie où rien ne change. Et en même temps, ils ont dû devenir adulte d’un coup et l’on sait qu’ils ne pourront jamais retrouver la forme d’insouciance qu’ils avaient au début.

Le personnage de la mère est assez fantomatique pendant le film. On la découvre dans une scène de repas qui se déroule au début du film. Mais à part sa cigarette ou sa voix, on ne la voit que très peu à l’image. Elle intervient cependant à nouveau dans une scène de repas à la fin du film et est cette fois beaucoup plus présente visuellement. Est-ce une preuve que, dû au passage à l’âge adulte accéléré de Purdey et Makenzy, ils sont maintenant en mesure de la voir comme elle est, d’adulte à adulte ?

Je pense qu’il y a un retour à la réalité, surtout pour Makenzy qui avait un peu d’espoir et
qui retrouve sa maman qui n’est clairement pas en forme et qui ne change pas même si elle
essaye de faire bonne figure. Il y a ce silence entre eux et c’est là que chacun y voit ce qu’il
veut : est-ce que tout va redevenir comme avant et rien ne va changer ou est-ce que cette
épreuve les aura tellement marqués que la relation va rester brisée ?

Ils vont aider pour l’intégration de leurs musiques, est-ce qu’ils ont aussi participé à l’ajout d’éléments comme TikTok, les selfies… ?

Je l’ai fait par petite touche parce que je n’avais pas envie de tomber dans ce cliché des adolescents scotchés à leur téléphone même si les deux sont bien consommateurs. Dans ce rapport au corps, Purdey par les selfies et Makenzy par la musique qu’il a toujours dans sa poche, j’avais envie de travailler là-dessus. Et puis ça fait partie d’eux et ce sont toutes ces petites choses qu’ils ont amenées, tous ces petits gestes de l’adolescence.

Je vous remercie pour le moment que vous nous avez accordé, je vous conseille vivement de courir dans les salles près de chez vous lors de la sortie de ce film.





Entretien réalisé par Lou Bulthé-Maingard, Marjolaine Dutreuil, Clélia Campardon, Margot Tromeur et Anastasia Dewitte

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